Chapitre 10
L'INTÉGRATION DE LA PENSÉE,
ÉLÉMENT DÉCLENCHANT MAJEUR
DES VISIONS DE BERNADETTE
Voici maintenant plusieurs faits qui ont certainement été un élément
déclenchant majeur des forces de la pensée rythmée et du Phosphénisme,
accumulés antérieurement afin qu'ils se muent subitement en des
apparitions.
Pour comprendre comment ces faits ont agi, il nous faut d'abord étudier
un phénomène psychologique très courant, que pourtant je n'ai vu signalé
nulle part.
A
L'inertie de la pensée dans le rêve
et les expériences spirituelles
Beaucoup d'entre nous ont constaté le phénomène suivant qui explique
certains rêves, bien que Freud ait fait à ce sujet des hypothèses bien plus
compliquées : il arrive que lors de la préparation d'un examen, on ait de
l'anxiété à l'idée de le rater. Dans cette phase, on ne rêve pas de l'examen.
Puis on le passe avec succès, et l'on part en vacances soulagé. C'est au
début de cette période, alors qu'à l'état de veille, on se sent libéré et dans
la joie du devoir accompli, que pendant le sommeil, l'étudiant en congé
rêve qu'il se présente à l'examen, que les difficultés sont plus grandes que
prévues, qu'il échoue. Freud parlerait d'un désir subconscient de rater
l'examen, mais la vérité paraît bien plus simple : à l'état de veille,
l'angoisse avait pris un certain élan avant l'examen. Le sentiment se
comporte comme une substance, subtile certes, mais possédant sa
propre inertie. Il ne peut s'arrêter pile et ne pouvant plus se manifester à
l'état de veille, il continue alors à s'agiter dans le rêve pendant quelque
temps, comme par un élan, telle l'inertie que possède la pierre qu'on
lance.
On remarque, de plus, que toutes les angoisses accumulées se libèrent
d'un seul coup, d'où le caractère particulièrement affreux de ce genre de
rêves. Il y a une sorte de totalisation (intégration en mathématiques), des
forces psychiques antérieures, lancées par le subconscient dans le
sommeil.
Dans le tome II de Expériences initiatiques, je raconte comment, grâce à
la technique qui m'a été transmise par mon maître zoroastrien Arthème
Galip, j'avais acquis le pouvoir de faire fréquemment des dédoublements.
À plusieurs reprises, j'ai été vu à distance par des personnes qui n'avaient
pas été prévenues que je faisais une expérience ce soir-là et qui me l'ont
raconté le lendemain matin sans que je leur ai posé aucune question. Je
n'avais parlé à personne mais elles me donnèrent tous les détails de mon
extériorisation dont je me souvenais avec précision.
Dans ce livre, je signale que les meilleurs dédoublements ne se
produisaient en général pas pendant les périodes d'entraînement intensif,
mais au cours des rares jours de repos que je m'accordais par périodes de
deux ou trois jours consécutifs. On eut cru que la force accumulée durant
plusieurs semaines d'exercices, se libérait alors. C'est un autre aspect de
cette totalisation de la pensée.
Cette intégration est probablement de même nature que la révision tout en
même temps très détaillée et panoramique de l'existence, que racontent
beaucoup de sujets ayant été en état de mort apparente, comme dans le cas
de Madame Gisky dont nous avons publié plus haut le récit ; ainsi que
d'autres cas que j'ai signalés dans ce livre et dans d'autres.
Nous avons vu au début du paragraphe, le choc de la réussite à l'examen
qui lance dans les rêves l'angoisse de l'échec qui existait antérieurement
dans l'état de veille. Dans le cas de la révision panoramique de
l'existence, c'est la mort, changement d'état, qui donne le choc
provoquant l'intégration des souvenirs. Nous allons maintenant étudier le
choc dans la vie de Bernadette, qui a provoqué l'intégration de toutes ses
prières phosphénisées en vingt-quatre splendides apparitions.
B
Le choc qui a déclenché l'intégration
de la pensée chez Bernadette
Nous savons que durant les années qui ont précédé ces apparitions,
Bernadette était à Bartrès, où elle vivait dans une solitude qu'elle meublait
par la récitation du chapelet. Or, elle fut ramenée à Lourdes pour sa
première communion quelques jours seulement avant la première
apparition. Elle dut alors subitement vivre en famille et avec ses
camarades de catéchisme. Même dans ses promenades, elle n'était plus
seule mais en groupe.
Or, d'une façon comparable à tous ces cas d'intégration brusque des
forces mentales, accumulées depuis longtemps dans une même direction
(dont on pourrait donner un nombre infini d'exemples), cette intégration
peut également être provoquée par un choc psychologique parfois léger.
L'arrêt brusque de la répétition permanente des prières dans la solitude de
ses pâturages, a créé un état favorable à une manifestation des forces
accumulées, comme si elles étaient extérieures à la volonté ; ce qui est le
propre d'une apparition.
On comprend maintenant que Bernadette, qui avait sans cesse à l'esprit
l'image de la Vierge pendant qu'elle suivait des yeux des brins d'herbes
dérivant dans le torrent, (donc s'imprégnant des phosphènes dus à la
mouvance du reflet du soleil), et faisant face au soleil ainsi qu'à la chaîne
des Pyrénées brillante de neige et de brume, ait pu avoir cette
représentation mentale chargée de phosphènes à son insu.
Ainsi, une image mentale phosphénisée de la Vierge s'est lentement
construite dans son cerveau.
L'intégration, c'est-à-dire la totalisation de toutes ces prières
accumulées, a été déclenchée dans sa conscience par le brusque
changement de mode de vie qui interrompait la pratique quotidienne
et permanente des prières simples dont elle avait l'habitude.
C
Un germe de cristallisation pour cette intégration :
le respect ancien du caractère sacré de la grotte,
bien connu des enfants.
Un deuxième élément psychologique a pu jouer énormément pour
cristalliser cette intégration dans la direction de la grotte : les enfants
n'ignoraient pas qu'elle était sacrée, consacrée à la Vierge. De plus, elle
leur inspirait une vague terreur comme à la plupart des villageois qui se
signaient en passant devant, écho lointain du temps où cette grotte était un
lieu de culte celte, où peut-être même des sacrifices humains étaient
accomplis. Il ne manque pas de cas dans l'histoire, où la peur subsiste,
alors que la cause en est oubliée. Toujours est-il qu'il y a un fait bien
certain : la seule approche de la grotte lui a rappelé que le surnaturel
n'était pas loin. Nous avons déjà analysé plus haut, les causes de
phosphénisation de la pensée de Bernadette, et notamment le troisième
fait qui a pu être comme l'étincelle mettant le feu aux poudres des
souvenirs phosphénisés accumulés, ultime incident déclenchant que nous
rappelons : elle a eu son attention attirée par un bruit surnaturel pendant
qu'elle se penchait en avant pour retirer un de ses bas avant de traverser
le torrent. Alors elle a levé la tête et eut sa première apparition.
En raison du rapport que nous avons étudié plus haut, entre la vraie
voyance et la méditation associée à la fixation du reflet du soleil sur l'eau,
et attendu qu'elle avait déjà cette habitude sur le bord des torrents de
Bartrès, qui sait quel reflet sur l'eau a pu être le dernier choc achevant de
déclencher les événements historiques de Lourdes et qui avaient mûri
lentement ?
Il ne faut pas s'étonner de ce qu'un reflet sur l'eau ait pu favoriser un
phénomène psychique auditif, car l'équivalent du phosphène existe dans
tous les organes des sens. On pourrait parler d'un plan " phénique "
intermédiaire entre la pensée et la matière. Quand on y accède, c'est par
plusieurs sens en même temps.
Bien entendu, le détail que nous donnons ici du mécanisme de la première
Apparition, principalement par phosphénisation et intégration des prières
antérieures, ne retire rien à la possibilité de l'intervention d'un être
spirituel indépendant de Bernadette, à travers cette construction
phosphénique. Celle-ci est comparable à ce qu'il est de mode maintenant
d'appeler " figures fractales ", c'est-à-dire des figures dont chaque partie,
quelle que soit sa taille par rapport à l'ensemble, est semblable au tout. Ce
n'est qu'une autre façon de désigner un des aspects de ce que j'ai étudié
dans Les Homologies, ou analogies du microcosme et du macrocosme.