Chapitre 5

DEUX CAUSES MAJEURES PROBABLES DE LA
PHOSPHÉNISATION DE LA PENSÉE DE BERNADETTE


A
La prière durant la fixation du soleil


Bernadette prie dans un paysage particulièrement ensoleillé et brillant. Cela nous intéresse plus spécialement, car le rapport avec le Phosphénisme commence ici, avec le paysage dans lequel elle faisait paître son troupeau. Jean Lasserre nous signale que c'était sur des côteaux tournés vers le sud, face à la chaîne des Pyrénées. Je me suis rendu à Bartrès sur ces lieux mêmes, aussi je ne puis qu'insister sur ce point et développer la pensée de Lasserre.

D'après les renseignements que j'ai eus par une parente encore vivante de sa nourrice, la colline entière sur laquelle est encore située sa bergerie appartient toujours aux descendants de la famille de cette nourrice. Aujourd'hui, le pâturage y est limité aux alentours de la bergerie. Des haies le séparent des voisins, peut-être en partie par crainte des visiteurs indiscrets. Le pâturage qui reste est bien trop petit pour un troupeau, et tout porte à croire qu'alors, il s'étendait sur toute la moitié de la colline. Au sommet de la colline, il y a un calvaire entouré d'un petit bois et au nord, des habitations dans des jardins. Or, cette colline a la forme d'une énorme olive, dont le grand axe serait orienté presque en plein sud. Du matin au soir Bernadette gardait donc ses moutons sur un véritable solarium.

Photo de la bergerie de Bernadette à Bartrès

Fig.I : Bergerie de Bernadette à Bartrès



B
Prières associées à la fixation
de brumes très brillantes


De plus, la chaîne des Pyrénées est très visible. Une grande partie de l'année, tous ses sommets sont couverts de neige. Le Vignemale est coiffé de neiges éternelles. Mais j'ai été plus particulièrement frappé par le fait suivant : à cause du recul, les chaînes de montagnes apparaissent, pour ainsi dire, comme si elles étaient découpées dans du carton, disposées sur des plans différents comme le seraient ceux d'un décor de théâtre, c'està- dire assez rapprochées. Les brumes s'accrochent dans les vallées et entourent les pentes des montagnes. Au-dessus, le soleil, dans un ciel pur, donne une brillance exceptionnelle à ces brumes.

1. Le sorcier mexicain utilise aussi la brillance des brumes pour ses "initiations" qui ne sont que quelques phénomènes phosphéniques :


Carlos Castaneda, cet Américain qui a suivi les enseignements d'un sorcier mexicain, raconte que celui-ci lui faisait parfois fixer un nuage brillant, jusqu'à ce que ce dernier paraisse devenir vert ; et qu'alors une vision pouvait apparaître dans cette couleur. C'était évidemment la phase verte du phosphène (Le Voyage à Ixtlan p. 123).

Bernadette était placée de la façon la plus idéale pour opérer d'instinct comme ce sorcier : faire des phosphènes avec des brumes tout particulièrement brillantes. Nous rappelons que les manifestations de voyance ne sont pas, le plus souvent, concomitantes aux phosphènes, mais au contraire surviennent en dehors des séances et après un certain entraînement.

Si cette habitude de prier en fixant le soleil est si répandue dans les populations paysannes pieuses, c'est parce qu'elle est instinctive. Une Hongroise me disait récemment, qu'encore actuellement en Hongrie, malgré le communisme et sans y mettre l'idée de résistance mais simplement par la perpétuation d'habitudes ancestrales, beaucoup de paysans, lorsqu'ils arrivent dans leur champ, commencent la journée, si le ciel est clair, par la prière associée à la fixation du soleil. En France, en 1955, certains paysans champenois avaient encore cette habitude.

2. Certains enfants utilisent un mur blanc :


Il en faut moins qu'on ne croit pour déclencher la voyance chez les enfants par des effets phosphéniques involontaires. Puisque nous venons de parler d'une coutume encore en usage de l'autre côté du rideau de fer, citons un autre cas. Une dame tchécoslovaque m'a raconté que, quand elle était enfant, vers dix ans, elle avait remarqué qu'elle avait des dons de voyance, d'intuition et avait des rêves prémonitoires. Mais, à cause de l'ambiance politique de ces pays, qui se répercute jusque dans la vie familiale et empêche l'éclosion de tout ce qui va vers le spirituel, elle n'avait jamais osé en parler à personne.

C'est en France que, par hasard, elle a lu quelques passages au sujet des rapports entre voyance et Phosphénisme. Elle comprit alors pourquoi elle avait présenté ce don et vint me le raconter.

En effet, sa table de travail où elle faisait ses devoirs et apprenait ses leçons en rentrant de l'école, était devant la fenêtre. De l'autre côté de la cour, il y avait un grand mur très blanc, sans ouverture et bien exposé au soleil, qui lui barrait complètement la vue. Il lui plaisait de se réciter mentalement ce qu'elle venait d'apprendre, tout en fixant ce mur. Elle avait pris cette habitude depuis sa plus tendre enfance. Mais elle n'avait jamais saisi le rapport avec ses dons intuitifs et ses rêves prémonitoires. La voyance est donc beaucoup plus une question de circonstances pendant l'enfance que de dons.

3. Sensibilité des populations des oasis aux fluides phosphéniques :


Au Maroc, par exemple, certaines fermes sont assez isolées, entourées, à distance, de zones pierreuses blanches très réfléchissantes, et les nuages sont rares. J'ai observé qu'un tel développement de la voyance à cause de la luminosité du paysage se rencontre assez facilement. Je l'ai même trouvé chez des européens revenus en France, mais qui avaient passé leur enfance dans ces conditions. C'est seulement en parlant avec moi, qu'ils ont compris le rapport entre leurs dons (dont ils étaient eux-mêmes étonnés), et des circonstances anciennes.

Dans les régions semi-désertiques du sud algérien, j'ai observé que se réussissait assez souvent l'expérience indiquée dans Magnétisme personnel d'Hector Durville : faire retourner une personne en la regardant dans le dos ou à la nuque, avec insistance, et en lui répétant mentalement cet ordre. Cela m'avait étonné car, en France, je ne l'avais jamais réussie. Si je ne me suis pas trompé, car le nombre d'expériences que j'ai faites n'a pas été suffisamment grand pour que je sois catégorique, cela pourrait provenir de ce que l'habitude de réciter les prières musulmanes devant les sables éblouissants du désert, donne à toutes ces populations une plus grande sensibilité à cette combinaison entre la pensée et le phosphène. J'ai appelé " sel phosphénique " le résultat de ce mélange, qui est en fait un fluide dense.

4. Bernadette utilise les brumes au-dessus de la chaîne des Pyrénées :


En raison de son éducation, ce fut des prières catholiques que Bernadette mêla à ces éblouissements de cause naturelle, mais le mécanisme qui éveilla chez elle une certaine forme de voyance fut le même.

L'association de la prière avec les actes de la journée en plein air, (association qui amène plus ou moins de voyance, du fait qu'au cours de certains gestes durant cette prière, le regard va croiser le soleil ou les nuages vivement éclairés), est probablement la cause des prétendues légendes au sujet des esprits de la nature dans les pays germaniques : elfes, sylphes, lutins. Ces esprits des éléments étaient vraiment perçus parce qu'une grande partie de la population avait un certain degré de voyance du fait de son genre de vie. Dans L'Initiation de Piétro, j'ai raconté comment une fois, à l'âge de 17 ans, j'ai perçu des esprits de la nature, dans des conditions comparables à celles que je viens d'expliquer.

Une brève enquête m'a permis de constater chez les bergers des Pyrénées, une certaine tradition des caractères bienfaisants des phosphènes. Il n'est donc nullement invraisemblable que quelque collègue de passage ait enseigné à Bernadette à utiliser cet aspect de l'éclairage solaire, car encore maintenant ils l'enseignent parfois hors de leur corporation à des touristes. Nous en avons eu le témoignage, entre autres, par Monsieur Gilbert Garrigue (Arts et Traditions Populaires des Pyrénées, 65410 Sarroncolin, Val d'Aure).

Il nous faut donc replacer la petite bergère de Bartrès dans le contexte éternel de la vie de berger, au travers des civilisations qui se succèdent. Il nous faut l'extraire du réseau d'interprétations tendancieuses qui a été tissé autour pour que l'argent des quêtes des quatre basiliques géantes de Lourdes parte à Rome, au lieu de rester dans le pays qui a donné naissance à cette enfant.

Revenons à Lasserre, un des meilleurs historiens de Bernadette. Celui-ci insiste sur les goûts de poète de l'enfant qui se plaisait à regarder des journées entières cette chaîne de montagnes.

Or, elle priait sans interruption dans ce paysage si brillant. Elle faisait donc du mixage phosphénique sans le savoir, comme les enfants de Fatima qui priaient en fixant le soleil et comme tous ceux qui ont développé leur vraie voyance. Jean Lasserre a même eu une phrase prophétique à ce sujet (Op. cit., p. 24) : "Qui nous dira tout ce que peut apporter de bienfaits ce regard de notre Sainte tombant sur le paysage qu'elle aimait ? ". Eh bien voilà, c'est nous qui le disons : il lui apportait les bienfaits du mixage phosphénique, même pratiqué involontairement par suite de circonstances fortuites ; et toute la région en a bien profité par les cohortes de pèlerins.

Nous avons donc déjà deux causes qui permettent de supposer que Bernadette faisait du mixage phosphénique sans le savoir : la rotonde disposée en solarium où elle faisait paître ses moutons, et la brillance des brumes accrochées par les Pyrénées au sud, que le soleil surplombait.

5. Le Phosphénisme dans l'Antiquité :


Le cas de Bernadette n'est pas isolé dans l'histoire. Bien au contraire, dans tous les peuples, il y eut des périodes où ce mélange entre la pensée et les phosphènes influença grandement l'évolution de leur civilisation ; surtout lorsqu'un rudiment de science se développa autour de cette pratique courante et instinctive chez les populations vivant en plein air.

Les Anciens savaient bien que travailler dans un paysage particulièrement ensoleillé pouvait, chez certains enfants, développer la voyance, même si l'on peut douter qu'ils en aient toujours analysé la cause, c'est-à-dire le mélange involontaire entre la pensée et les phosphènes. Car ce n'est pas sans raison que les Grecs avaient fait de Phoebus, dieu du Soleil, également le dieu de la divination ; d'Apollon, autre nom du dieu solaire, le " dieu des oracles et de l'enthousiasme divinatoire " (Grande Encyclopédie).

Lorsque le Christ a dit " Je suis le bon pasteur ", il n'ignorait sans doute pas que dans un pays bien proche, cela signifiait " Je suis Apollon, dieu du soleil ". Car Apollon était souvent représenté comme le bon pasteur portant sur ses épaules la brebis égarée. L'étude des Mystères d'Éleusis donne à penser que les Grecs n'ignoraient point le rapport entre les phosphènes et le don de voyance, puisque le candidat à l'initiation devait pénétrer dans un couloir obscur avec un bandeau sur les yeux. Il y avait pourtant la lumière de torches dans ce tunnel. Par moments, on lui ôtait le bandeau et il devait observer la lumière, puis on le remettait. Il devait alors se représenter un épi de blé, symbole de fécondité. En insistant, cet épi devenait L'ILLUMINATEUR, (d'après Magnien Les Mystères d'Éleusis). C'est donc bien le mélange entre la pensée, ici l'épi de blé, et le phosphène après que le bandeau ait été remis sur les yeux, qui provoque une ILLUMINATION DE NATURE SPÉCIALE. C'est dans la période où les Mystères d'Éleusis battaient leur plein et où de nombreux étrangers recevaient cette initiation, que le rayonnement intellectuel de la Grèce marqua la civilisation antique et que la Grèce produisit le plus grand nombre de génies dans tous les domaines... Or tous ces grands hommes étaient passés par les Mystères d'Éleusis, c'est-à-dire qu'ils connaissaient la PÉDAGOGIE PHOSPHÉNIQUE, qui donne parfois au cerveau un élan inimaginable.

Nous avons repris et développé les rapports entre Phosphénisme et les Mystères d'Éleusis, dans la deuxième partie du livre Le Pneumophène, ou la respiration qui ouvre les portes de l'au-delà.

6. Différences entre la vision phosphénique et l'hallucination :


Précisons d'abord la différence entre une image mentale qui s'est chargée de phosphène et une hallucination.

Il faut bien comprendre que la "pensée phosphénisée" n'est pas une hallucination, ni dans le sens courant du terme, ni dans son sens médical. Elle en est tout le contraire.

Car le mot "hallucination " possède un sens péjoratif dans le langage courant. Médicalement, elle ne se produit qu'en cas de trouble cérébral, et a d'ailleurs souvent une cause objectivable comme une tumeur cérébrale ou des variations pathologiques d'une des composantes du sang. Donc, celui chez qui surviennent des hallucinations est, toutes choses égales d'ailleurs, dans un état inférieur à la normale.

Par contre, il est facile de constater que celui qui phosphénise sa pensée sans le vouloir, soit complètement accidentellement, soit en suivant le fil de son instinct, ou mieux encore, d'une façon méthodique en pleine connaissance du principe, amène vite son cerveau à un état supranormal, tous les autres organes restant dans leur état normal.
Entre autres, le don d'intuition que provoque cette pratique, qu'elle soit instinctive ou faite sciemment, met le sujet en harmonie avec les grandes forces psychologiques des masses. Cela explique que de tout temps les adeptes du Phosphénisme, même sans le savoir, aient servi de germe de cristallisation pour de grands courants humains. C'est exactement ce qui s'est produit à Lourdes.

Nous ne pouvons donc pas partager le point de vue de Monsieur Albert Beaughon qui, dans Lourdes, vie dramatique de la gentille Bernadette Soubirous, se contente de la traiter " d'hallucinée ". C'est escamoter le problème.

Dans le même ordre d'idées, disons que le livre de Gérard de Sèdre "Fatima, enquête sur une imposture ", ne mérite même pas discussion. Sa façon de présenter les choses, plus qu'un simple escamotage, est un procédé particulièrement odieux, ce qui prouve qu'il y a autant de parti pris d'un côté que de l'autre. En effet, il ne parle d'aucun des témoignages classiques à propos de la danse du soleil : ni de celui de ce professeur de sciences qui était sur son balcon par hasard et qui a dit : " J'ai vu, mais je n'explique pas " ; ni de cet autre d'un directeur de journal anti-religieux, venu à l'annonce du miracle pour tout dénigrer, et qui est reparti tellement enthousiaste après avoir vu la danse du soleil, que ses collaborateurs ont exigé sa démission. Et combien d'autres ont ainsi été " omis " ? Si ces témoignages sont faux, alors que Gérard de Sèdre le prouve ; mais ne pas les citer parle en faveur de leur exactitude... gênante pour sa position.

Sur ce point, il faut rendre justice à l'Église romaine : elle a fait des enquêtes très sérieuses et objectives sur les faits, en particulier celles du chanoine Barthas. Gérard de Sèdre se contente d'attribuer à l'humidité de l'air les mouvements anormaux du soleil, ce qui de toute évidence est sans fondement expérimental. Les mouvements observés à Fatima et dans plusieurs autres " Danses du soleil " comparables, sont d'une autre amplitude, d'une bien meilleure régularité, et se déroulent toujours dans le même ordre ; ce que ne peuvent donner des variations d'indice de réfractions suivant les courants d'air. Dans L'Initiation de Pietro, nous avons consacré plusieurs pages pour montrer qu'il s'agit de mouvements phosphéniques.

Nous allons voir maintenant deux autres causes encore plus importantes.